Voici la lettre que je viens d’envoyer à l’échevin Luc Gennart de la commune de Namur, à la Commission royale de toponymie et au Service des langues endogènes:
Mr l’Échevin, Mesdames et Messieurs,
L’écrivaine gembloutoise Chantal Denis, dans son roman Quî ç’ qu’ a touwé JFK ? pose la réflexion suivante : le boulevard Ad Aquam à Namur a été renommé Baron Huart, alors que quasi personne ne sait qui était le personnage en question – et cet hommage ne l’a en rien rendu plus illustre ou mieux connu. Les réflexions suivantes me sont venues en rentrant de la Fête aux langues de Wallonie.
Nos rues se sont progressivement encombrées de références à toutes sortes d’hommes et de femmes illustres à des degrés divers et variés. Outre le manque d’efficacité de ces hommages, ils peuvent parfois conduire à des confusions, à la façon des deux rues Dandoy (un nom si courant dans la région) à Flawinne. Mais le plus problématique est que cette avalanche de personnages s’est souvent faite au détriment des noms originaux des rues. Et lorsqu’il s’agit de nouvelles rues, on peut s’estimer chanceux si personne n’a cru nécessaire d’y coller le nom de quelqu’un. Mon courrier, vous l’aurez compris, est un plaidoyer pour le retour à une odonymie en lien avec les lieux, plutôt qu’avec les semi-célébrités plus ou moins locales.
La commune de Durbuy est pionnière en matière d’odonymie wallonne. Un simple coup d’œil sur la carte papier ou sur la carte Google suffit pour le démontrer. Dans la commune fusionnée de Namur, il y a déjà une odonymie wallonophone : Rue des Pitteurs, Rue des Tautis – mais dans ces cas, le mot wallon a été “francisé” de force, en devenant une forme “bâtarde”, qui fait plus de mal que de bien au trésor culturel qu’est la langue wallonne. Par exemple, plutôt que d’avoir une « rue des Tautis », on devrait avoir soit le tout en wallon, sitrålete des Tåtîs (Sitraulète dès Tautîs), soit le tout en français, « rue des Pâtissiers. » Pour le reste, la rue des Rèlîs Namurwès et la Place du Bia Bouquet, si elles rendent hommage à la langue wallonne, n’en n’ont pas pour autant de lien avec l’histoire de la rue.
Pour nommer une rue en wallon, il ne faut surtout pas calquer le français « rue » en tant que rûwe ou rowe. En wallon, il existe quatre types d’odonymie traditionnels :
1 Avec un locatif : Ås Tchôdès Aiwes ou Al Tchôde Aiwe ; Åzès Bos/Bwès. À partir de ces exemples, on pourrait poursuivre : Å[zè]s Viyès Djins, Ås Ospitås (Aus Ospitaus), Al Vindince, Al Handele A Môde di Djin, Al Aite, Ås Moxhes A Låme ou plus court Al Låme ; de même Å Grand Botike ; Al Haitire Aiwe, Å Rapuroe (Rapurwès) etc.
2 Avec des mots typiquement wallons pour désigner les voiries : sitrêye (estrêye), qui forme des constructions de type germanique. Ainsi, on pourrait avoir : Walonstrêye, Mitanstrêye, Cronstrêye, Londjinstrêye, Avionstrêye etc.
3 Avec d’autres mots typiquement wallons pour désigner les voiries, en formant des constructions de type roman au génitif : voye (vôye) et balwér, ainsi que sitrålete (èstrôlète, sitraulète), diminutif de strêye, sans oublier plaece (place, plèce) et scwére ainsi que bate pour les places publiques. Ainsi, on pourrait avoir : Voye del Tuzance, Voye des Syinceuzès Dames, Voye des Doctoresses, Voye des Médes, Sitrålete des Penleuses, Balwér des Manaedjresses, Plaece des Pipsakeus, Plaece del Mayoresse, Voye des Parolîs, Scwére des Rcwereus, Voye del Sicrijheuse, Bate del Tchantreye, Plaece do Bén-Mougnî, Bate do Bea-Moussî (Bia-Moussî), Pîssinte des Afuyîs etc.
4 En laissant l’élément humain de côté, il y a déjà des cas d’odonymie où l’on se focalise sur l’endroit : Tcheråvoye, Hierdåvoye. Sur ce modèle, on pourrait avoir des noms plus modernes : Rotåvoye, Pirvoye (Pîrevôye), Påjhire Voye, E Påjhirté, Pîssinte des Tchets, Vete Voye, Martchandvoye.
Bref, plutôt que de mettre à l’honneur des individus, l’odonymie de notre commune pourrait mettre à l’honneur des métiers (et, en-dehors des exemples que j’ai déjà donnés, il y en a tant d’autres : bussîs, « chauffeurs de bus », naivieus, « personnel de navigation [aérienne] », watmanes, « conducteurs de tram », feutîs, « pompiers », sicabins, « échevins », machinisses…), mots qui peuvent être mis au féminin ; des réalités contemporaines comme la gastronomie, la mode, les réfugiés, dont j’ai parlé plus haut, ou encore les immigrés (abagants) ; des arbres, selon les rues, dont les noms diffèrent du français (melêye, « pommier », biokî, « mirabellier », fåw/fauw, « hêtre », mesplî, « néflier », petchalî…) ; des réalités concernant les voiries elles-mêmes ; et le tout, non seulement avec une nostalgie du passé, mais avec un encrage dans le présent et un regard vers l’avenir.
Il me serait agréable que mes réflexions soient transmises aux personnes en charge de la nomenclature des voiries, et je vous en remercie !
Cependant, je sais que d’aucuns contesteront l’idée même de l’odonymie wallonophone, sous prétexte que le langue française est la seule langue officielle chez nous. Or, malgré le caractère officiel du français, notre toponymie n’est pas francophone, mais bien wallonophone, voire wallo-flamande, orthographiée parfois de manière fantaisiste : Wallonie, Bomel, Fau[l]x, Malonne, Bas[s]eille, Flawinne, Bricgnot, Beez, Fooz, Transvaal…
Bien à vous,
G. S.
_____________