Beaucoup de groupes et d’individus se réclament de la tradition. D’autres se sentent même horrifiés par le mot «tradition». Qu’est-ce que que, donc, la Tradition de l’Église? Est-ce juste le fait de mimer des brols d’antiquaire? Est-ce un développement organique?

Je vais vous traduire ci-dessous un texte du chanoine Jeffrey John à propos de la Tradition en tant que telle, puis en rapport avec les LGBT.

Ce que nous soutenons en tant qu’anglo-catholiques, c’est un traditionalisme intelligent, une exégèse honnête et cohérente de l’Écriture; nous y tenons, non pas en rupture avec, mais en tant que partie intégrante de la vie catholique de prière, liturgie et maturation spirituelle. Si nous rejetons Dieu, nous perdons tout. Si nous nous unissons fidèlement à lui, c’est lui qui nous aidera, par la prière et à travers notre conscience, à tenir ensemble notre foi, notre vie et notre intelligence. Il faut que nous nous rappelions ce que les pseudo-traditionalistes ne veulent pas comprendre: à savoir que la Tradition en elle-même n’est autre chose que la mémoire du changement ininterrompu dans l’Église, mais c’est la mémoire d’un changement organique, un changement davantage évolutionnaire plutôt que révolutionnaire, où chaque développement est issu de son propre passé, à la lumière d’une nouvelle expérience, guidée par la prière. Il faut que nous nous rappelions également que l’Écriture elle-même n’est pas autre chose que la mémoire du changement ininterrompu, où chaque nouvelle génération d’écrivains bibliques réinterprétaient, rééditaient, réécrivaient, à la lumière de nouvelles expériences, dans la prière. La stupidité et finalement la brutalité de tous les intégrismes ont comme source le refus de voir ce que la religion doit être, pour qu’elle soit une vraie religion: une relation vivante avec Dieu, et non pas le fait d’idolâtrer le passé.

Par dessus tout, rappelons-nous comment Jésus a mis sa Tradition en pratique. Dans le judaïsme, Jésus a été attaqué par deux formes de traditionalisme figé: la tradition sadducéenne, religion des Hérodiens, les gens du pouvoir, qui voulaient que la religion fût la base immuable de la structure sociale; et la tradition des pharisiens, les évangélicaux passionnés de l’époque, qui étaient assez proches de Jésus dans l’esprit et la doctrine, mais qui sont devenus ses ennemis encore plus redoutables, dès qu’il a voulu les défier et les changer. Mais il est important de remarquer que, lorsqu’il a eu affaire à ces deux partis, Jésus a plaidé pour le défi et le changement, toujours à partir de l’intérieur de la Tradition, et toujours en se basant sur l’Écriture. Il n’a pas brûlé les étapes en analysant l’Écriture ou la Tradition, quitte à en agacer certains. Lorsqu’il essaie de leur démontrer qu’ils ont fait du sabbat une idole, alors que c’était un don de Dieu, il ne leur dit pas: «Regardez: le sabbat est une loi barbare; il faut le laisser tomber!» Il dit pas non plus: «Je suis le Fils de Dieu, et je vous dis: faites tout ce que vous voulez.» Non. Jésus tire ses arguments à partir de l’intérieur de la Tradition. Il exprime son point de vue en montrant que la Tradition elle-même contenait des éléments comme l’humanité et la générosité, qui étaient sur le point d’être oubliés. Il leur rappelle que le but de la Loi est le bien de l’humanité, et pas le contraire. Il leur montre que l’amour de Dieu pour quiconque est dans le souffrance ici et maintenant a toujours surpassé tout souci des règles autour du sabbat.

Si jamais Jésus a été révolutionnaire, il n’a jamais été un révolutionnaire déconnecté de la réalité. On l’a accusé sans cesse que son enseignement fût «incompatible avec les Écritures»; il a été mis à mort parce qu’il fût «incompatible avec les Écritures»; alors que tout au long de sa vie il n’a jamais renié les Écritures, mais continué à essayer d’expliquer, en détail et avec patience, pourquoi leur compréhension en était fausse. Il a montré à quel point ses ennemis étaient sélectifs et subjectifs, dans leur littéralisme biblique, obéissant au précepte du corban, mais en piétinant celui qui demandait de prendre soin de ses parents. Lorsqu’ils l’accusèrent de ne pas suivre les règles concernant le lavement et le jeûne, il leur montra que l’Écriture était de loin plus focalisée sur la pureté du cœur et de l’esprit, que sur les brols de cuisine. Lorsqu’ils lui reprochaient que sa manière de fréquenter les païens était «incompatible avec les Écritures», il leur rappela que leur propre exclusivisme contredisait l’ouverture d’Élisée et d’Élie vis à vis de Naaman et de la veuve, ainsi que le message de Jonas aux Ninivites, et la promesse d’Isaïe, Jérémie et Zacharie que la lumière irait chez les païens. Lorsqu’ils l’accusèrent de ne pas respecter la Loi, il leur montra qu’il était venu pour accomplir la Loi, non pas pour l’abolir. Il s’inscrit dans la Tradition, et malgré ses reproches aux sadducéens et aux pharisiens, il respecte la Tradition, il vient sous la Loi, pour la compléter, et pas pour la détruire.

Tout cela est une leçon d’une importance capitale pour nous autres, catholiques anglicans, aujourd’hui. Beaucoup d’entre nous sommes fatigués et impatients, puisque maintenant il nous semble tellement difficile d’aimer l’Église et en même temps de travailler avec elle. Il est souvent difficile de ne pas la haïr, de ne pas partir en claquant la porte, à la bonne vieille méthode anglicane. Bien sûr, il est facile de prendre des arguments simplistes en brûlant les étapes. Bien sûr, un jour, quelqu’un dira quelque chose d’irréfléchi du genre: «Je n’ai rien à cirer de l’Écriture» ou «la Tradition n’a rien à dire à la fin du vingtième siècle.» Mais, une fois que l’on a dit cela, on a raté le coup. Une fois que l’on a arrêté de scruter la Tradition et l’Écriture, une fois que l’on a arrêté de prier avec elles et par elles, aussitôt on s’est coupé de la sève de vie chrétienne qui mène à la maturation, à la manière des fondamentalistes, et l’on en fait le même usage qu’eux. Car il n’est pas vrai que l’Écriture n’ait rien à nous dire. Et il est tout aussi faux de dire que la Tradition n’ait plus rien à nous dire à la fin du vingtième siècle. De tous les temps, c’est maintenant que trouver nos repères dans la Tradition est plus important que jamais. Mais oui, c’est une tâche difficile et pénible, par rapport aux facilités simplistes du fondamentalisme et de l’athéisme.

[…]

Accepter les unions entre des personnes du même sexe est analogue à l’ordination des femmes. Ça ressemble à un pas révolutionnaire, mais ce ne l’est pas. Accepter les unions entre des personnes du même sexe, ça ne change pas la doctrine ou la discipline de l’Église vis à vis du mariage, mais tout simplement, on les applique à un nouveau groupe de personnes. La théologie sacramentelle est la même. Pour autant qu’elle repose sur la même qualité de l’amour et de l’engagement, pour autant qu’elle crée pour deux adultes le même cadre de vie et d’épanouissement, une telle union sera sans distinction à l’image de l’alliance de Dieu dans l’amour, et elle ne sera absolument pas différente d’un mariage sans procréation.

L’Église a pris la décision d’ordonner des femmes, une fois qu’elle s’est rendue compte que cela n’altère en rien le sacrement de l’ordre. L’ordination des femmes ne change pas la doctrine de la prêtrise ou les relations sacramentelles conséquentes à l’ordination. Elle admet tout simplement une nouvelle catégorie de personnes à ces relations. Sacramentellement rien n’a changé, puisque la représentation du Christ à travers la prêtrise ne se réfère pas à son genre physique du prêtre, mais à sa personne. De même, la représentation du Christ dans une union de personnes du même sexe ne se réfère pas au genre sexuel des deux, mais à leur alliance. Ce que saint Paul appelle le mystêrion, le «mystère» ou sacrement, se réfère à la façon dont une union sexuelle basée sur une alliance d’engagement total peut refléter l’alliance d’amour fidèle du Christ pour son Église. Ce n’est pas la polarité mâle-femelle qui crée le «mystère», ni quoi que ce soit qui ait affaire à la procréation (autrement on ne marierait pas les infertiles). La qualité de l’engagement entre deux personnes, l’amour et la volonté communes qui vont dans le même sens, voilà le cœur de la morale sexuelle chrétienne. Une telle union est sacramentelle précisément parce que, quoique de manière imparfaite, elle est l’image visible de l’amour fiable, ferme et sacrificiel de Dieu, dans la réalité de la vie humaine. Et cela n’est pas juste de la théorie théologique, mais de l’expérience. Énormément de couples gais chrétiens ont trouvé que ce «mystère» est tout aussi vrai dans leur propre union que dans le mariage hétérosexuel; et c’est une expérience qui exige d’être respectée.

(L’original anglais ici.)

Pour finir cet article, voici – cliquer pour élargir – les huit modèles de soi-disant ‘‘mariage biblique’’:

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