Ex more docti mystico.

Voici ma traduction-adaptation en français de l’hymne Ex more docti mystico, qui se chante aux matines du carême.

Par mystique coutume instruits
Abstenons-nous, portons les fruits
Du carême, vers toi tournés,
Pendant ces quarante journées.

Loi et prophètes, au début,
Quarante jours de jeûne ont vu;
Enfin, le carême, ô Christ roi,
A été sanctifié par toi.

Rends-nous frugaux dans tous les mets,
Boissons et discours désormais,
Sans abus de sommeil ou jeux,
Mais vigilants et courageux.

Évite-nous de dépenser
Notre force en vaines pensées;
Que nous ne soyons pas soumis
Au tyrannisant ennemi.

Nous te prions tous à genoux;
Ô Seigneur, prends pitié de nous;
Nous pleurons, juge juste et doux,
Ne nous abandonne au courroux.

Seigneur Dieu, nous avons fâché
Ta clémence, par nos péchés;
Alors, répands sur nous, des cieux,
Tes miséricordes, ô Dieu.

Souviens-toi que nous sommes tiens,
Pécheurs, mais l’œuvre de tes mains;
Faits pour la gloire de ton nom,
Notre vie, de toi la tenons.

Réduits le mal que nous faisons;
Augmente ce qu’il y‿a de bon;
Que nous puissions d’être plaisants,
Pour toujours, et dès maintenant.

Accorde-nous, ô Trinité,
Toi, notre Dieu dans l’unité,
Que ce carême glorifie
Ton très saint nom, dans notre vie. Amen.

Allergie à la prière.

Pour ce début de carême, j’ai deux articles. Dans le second, je parlerai de l’ ‘‘allergie au jeûne’’; dans celui-ci je parle de l’ ‘‘allergie à la prière’’.

J’ai l’impression que le chrétien occidental, à partir du concile de Trente et en culminant de nos jours, est allergique à la prière. Les antiennes du carême répètent sans cesse: «priez, priez, priez». L’important n’est pas de dire aux autres de prier, ni d’inviter les autres à louer le Seigneur. L’important est de prier, et de louer le Seigneur. Louer le Seigneur, c’est raconter aux autres ce que le Seigneur a fait. Prier le Seigneur, c’est s’adresser à lui à la deuxième personne.

Le chrétien occidental est allergique à la prière. Il adore chanter: «Voci gnignigni… voilà gnagnagna…»

Le chrétien occidental est allergique à la prière. Il préfère attirer l’attention sur soi-même: «Me voici… je suis ceci, je suis cela….»

Le chrétien occidental est allergique à la prière. Il aime faire semblant que tout irait bien, que, tout compte fait, le Christ fût venu pour presque rien. Il est profondément pélagien.

Le chrétien occidental est allergique à la prière. Il préfère s’ennuyer devant une bougie (ou une icône, une hostie consacrée) sans rien dire, plutôt que de s’adresser à Dieu.

Le chrétien occidental est allergique à la prière. Il préfère se bourrer d’enseignements ‘‘spirituels’’ dans une pièce, que de pleurer sur ses péchés et ceux du monde.

Le chrétien occidental est allergique à la prière. Il préfère chanter des chants paillards travestis, plutôt que d’intercéder.

Le chrétien occidental est allergique à la prière. Si jamais il s’adresse à Dieu, sa prière est encore au stade de celle des primitifs du livre de la Genèse, et il ne sait pas ‘‘théologiser’’ devant Dieu.

Le carême est un moment privilégié pour guérir de cette allergie.

Septuagésime 2014.

Aujourd’hui commence la saison de la Septuagésime (pré-carême). Cette saison commence avec le dimanche de la Septuagésime (aujourd’hui), elle traverse le dimanche de la Sexagésime, celui de la Quinquagésime, et finit le mardi-gras.

(Photo ci-contre: pré-carême en Norvège.)

Certaines Églises (comme l’Église de Rome) ont abandonné cette saison du pré-carême, parce que leurs dirigeants ne la comprennent plus. Et, plutôt que d’essayer de comprendre, on a plus facile de jeter à la poubelle. Puisqu’on ne comprend plus le sens du carême, forcément, on ne voit plus pourquoi on devrait s’y préparer.

D’autres Églises, comme toutes les Églises orientales et les Églises nordiques, ont gardé cette saison.

Pourquoi, donc, se préparer au carême? Parce que, avant de commencer la course, on doit savoir pourquoi on court, et quels sont les risques de la course. Ces trois dimanches nous mettent en garde: nous jeûnerons, mais pas pour ‘‘payer’’ notre salut.

Aujourd’hui, la Septuagésime nous parle de sola gratia. L’évangile de ce dimanche, dans la parabole de la vigne, est clair: qu’on soit arrivé à connaître le Christ dès notre enfance («le matin») ou à la fin de notre vie («à la onzième heure»), le salut sera le même pour tout le monde. Le salut ne se gagne pas par les bonnes œuvres, mais par la grâce de Dieu. Le maître de la vigne appelle les ouvriers, dès le début et tout au long de la journée, pour leur donner 1 denier. Pas de distinction.

Le dimanche prochain, la Sexagésime nous parlera de sola scriptura ou plutôt solo sermone. L’évangile nous parle de la Parole de Dieu qui est semée, et qui fructifie ou pas, selon les auditeurs. L’introït de ce dimanche chante: «Ressuscite, Seigneur» – pour nous annoncer la fin de cette course de trois saisons – et «Dieu, nous avons entendu de nos oreilles; nos pères nous ont annoncé.» Le thème de sola gratia persiste encore, à travers l’épître, où saint Paul nous raconte comment le Seigneur a coupé court à son orgueil, et par la collecte: «Dieu, qui vois que nous ne confions en aucune de nos œuvres…»

Dans deux semaines, la Quinquagésime nous parlera de sola fide. Jésus dit à l’aveugle: «Ta foi t’a sauvé.» L’aveugle n’a rien fait pour mériter la guérison, il n’a pas acheté sa guérison. C’est aussi le dimanche où l’on lit le long discours de saint Paul sur l’amour; c’est pourquoi on pourrait également appeler ce dimanche sola charitate.

Lucis Creator optime.

En ce samedi soir, je vous présente ma traduction-adaptation en français de l’hymne Lucis creator optime. Pendant des siècles, depuis la compilation du bréviaire par des gens pas très experts en liturgie, on l’a chantée les dimanches soir. Or, étant donné que cette hymne décrit la création de la lumière au premier jour, ce n’est pas les dimanches soir, mais les samedis soir que cette hymne doit être chantée.

De la lumière Créateur,
Par qui les jours sont éclairés,
Tu fis la luisante splendeur;
Au premier jour, tu l’as créée.

Il y eut un soir, un matin;
C’était le premier jour, brillant.
Maintenant que le jour s’éteint,
Écoute aussi nos pleurs priants.

Que nos consciences ne soient pas
Tachées, retranchées de la vie;
Que ne les tirent vers le bas
Les tentations et leurs avis.

Frappant à la porte des cœurs,
Tu veux entrer, nous gratifier;
Pour nous éviter tout malheur
Du passé, viens nous purifier.

Accorde-le, toi, Père aidant,
Et toi, son Fils seul-engendré,
Et toi, du Père procédant:
Dieu régnant pour toujours, d’un trait. Amen.

Première mélodie:

Autre mélodie:

Salzinnes.

Je prends souvent le bus n° 9, et du coup, je dois remonter la Ruelle de l’Enfer. Depuis là, j’admire chaque fois l’atelier du chemin de fer qui se trouve à Salzinnes, à l’emplacement même de l’ancienne Abbaye de Salzinnes.

Qu’est-ce que ça fait du bien d’avoir Internet! Parce que, sur la toile, j’ai trouvé, en ligne l’antiphonaire de Salzinnes. Et ça me fait beaucoup méditer. L’abbaye en question est l’endroit d’où est issue la dévotion eucharistique. Et, à l’époque, les moniales talentueuses faisaient ces livres à la main, librement. Elle ne devaient pas avoir un job profane, pour exercer leur talent juste les week-ends, à côté de la job. L’art était apprécié, au moins de cette façon-là. Et c’était vraiment de l’art.

Aujourd’hui, il faut juste être productif. L’art est réprimé à la fois par la loi civile et par les Églises. D’une part, les artistes doivent vivre au jour le jour. D’autre part, les Églises favorisent les mocheries, les nullités, les handicapes théologiques, le copyright, les livres coûteux. Rien à voir avec les exigences de l’Évangile.

Ci-contre, une page de l’antiphonaire de Salzinnes (1554). L’abbaye a été détruite par la Révolution Française, peu avant l’an 1800. Que du ‘‘bonheur’’!

Essentiel.

Qu’Internet est magnifique, n’est pas? On peut y trouver des livres, qu’auparavant on devait chercher dans des bibliothèques éloignées.

Passionné par la liturgie comparée, je suis tombé, par hasard, sur plusieurs choses intéressantes. Tout d’abord, j’ai découvert le troisième tome du livre Explication littérale historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la messe par le de Pierre Le Brun. On en trouve aussi le premier tome sur Wikisource.

Mais ce que je trouve d’intéressant dans ce troisième tome, c’est la liturgie comparée. L’auteur montre comment tous les rites du monde chrétien gardent les mêmes choses. Il y donne également la messe arménienne in extenso, en latin, ainsi que des anaphores orientales.

Abolition.

Il y a quelques années, quelqu’un me répliquait, à propos d’une prière: «Ça a été aboli.» Il y a quelques mois, quelqu’un d’autre me disait, à propos du génitif et du datif d’une certaine langue: «Ça a été aboli.»

À l’époque je me disais: mais qu’est-ce que ces gens ont avec l’abolition? C’est maintenant que je me rends compte à quel point la liturgie et la lingüistique ont des choses en commun.

On abolit la peine de mort, on abolit l’esclavage, on abolit le travail forcé, on abolit de mauvaises choses. Par contre, la tradition, chrétienne ou lingüistique, ne saurait pas être abolie. Car elle est transmission. La tradition a un développement organique. Cela ne veut pas dire que lorsqu’une erreur est récurrente, elle deviendrait une règle.

Regardez l’anglais. La langue anglaise n’a pas d’académie. Elle évolue organiquement. Bien entendu, il y a beaucoup de barakîs qui disent et écrivent avec des fautes, avec ou sans intention. Mais le corps commun des anglophones continue à maintenir l’anglais correct, parce que ce corps connaît et pratique la lecture.

Regardez l’islandais. Il est le même qu’au onzième siècle, sauf quelques néologismes, eux-mêmes formés spontanément à partir de mots déjà existants.

Regardez le wallon et le luxembourgeois. On y note les mots que l’on découvre, et on les utilise. Une gamine a inventé spontanément le mot «taprece» en wallon; deux personnes qui ne se connaissaient pas ont inventé simultanément, il y a deux ans, le mot «djåzofone».

Et l’évolution, elle fonctionne comment? Par exemple, en wallon, au douzième siècle, il y a eu la peste au pays liégeois, et la famine dans le namurois; à cause de ces problèmes, le sch n’a plus pu être prononcé par ceux-là. Du coup, c’est devenu une forte aspiration à Liége, et un s aspiré à Namur. Mais personne ne s’est assis à table pour dire: «Bon, désormais, le sch, pour mieux s’adapter aux nécessités de notre époque, deviendra du b; on le révise entièrement avec prudence et on lui rend une nouvelle vigueur en accord avec les circonstances et les nécessités d’aujourd’hui.» Non. Personne. C’est ça la différence entre évolution et abus. Le sch n’aurait jamais su se transformer en b, puisque cela est contraire à la nature même des langues romanes. Et si, aujourd’hui, on prononce une aspiration ou un s aspiré, mais qu’on écrit quand même sch, c’est pour affirmer qu’il n’y a pas eu altération, mais évolution.

La tradition de l’Église est pareille. Rien et personne ne peut ‘‘abolir’’ le Lévitique, l’épître de saint Jacques, l’offertoire, le canon romain, l’anaphore selon saint Basile, les conjugaisons, les déclinaisons… quelque fort que ceux-ci puissent déranger. Le seul droit et devoir qu’ont les grammairiens et les liturgistes, c’est de mettre sur papier et transmettre ce que nous avons reçu.

CS Lewis & liturgie.

Ce soir, je voudrais vous partager quelques réflexions de CS Lewis, que j’ai traduites de ses Lettres à Malcolm, sur la liturgie:

«D’abord, elle me tient connecté à la doctrine saine. Livré à soi-même, quelqu’un pourrait abandonner ‘‘la foi donnée une fois pour toutes’’ en glissant vers une illusion appelée ‘‘ma religion à moi’’.»

«Plus un livre liturgique est ‘‘mis à jour’’, plus vite il sera obsolète.»

En parlant du clergé:

«C’est comme s’ils pensaient que les gens seraient attirés vers l’église en éclaircissant, en allongeant, en raccourcissant, en simplifiant et en compliquant l’office. Et il se peut que le curé enthousiaste qui vient d’arriver rassemblera de son côté une minorité qui sera en faveur de ses innovations. La majorité, me semble-t-il, sera toujours contre. Beaucoup n’iront plus à l’église, et ceux qui restent n’ont qu’à la subir. Est-ce juste parce que les majoritaires sont bornés? Ils ont une bonne raison pour leur conservatisme. La nouveauté pour le plaisir de la nouveauté n’a qu’une valeur d’amusement. Et les gens ne vont pas à l’église pour s’amuser. Ils y vont pour faire usage de l’office ou en faire partie, si vous voulez. Chaque office est un agencement d’actions et paroles par lesquelles on reçoit un sacrement, on fait pénitence, on prie, on adore. Et chaque office nous permet de faire ces choses de notre mieux – si vous voulez, ça ‘‘marche’’ le mieux – lorsque, grâce à une familiarité de longue date, on n’a plus besoin d’y penser. On n’est pas en train de danser, aussi longtemps que l’on fait attention aux pas et qu’on les compte, mais seulement on est en train d’apprendre à danser. Une bonne chaussure est une chaussure à la laquelle on ne pense pas en marchant. On peut faire une bonne lecture, lorsque, en lisant, on ne pense pas aux yeux, à la lumière, à la lisibilité ou à l’orthographe. L’office liturgique parfait serait celui qui nous ferait penser non pas à lui-même, mais à Dieu. Mais chaque innovation nous y empêche, en attirant notre attention vers l’office en lui-même. Et penser à la prière n’est pas la même chose que prier. La question essentielle concernant le Saint-Graal, c’était: ‘‘Ça sert à quoi?’’ ‘‘C’est une folle idolâtrie qui rend l’office plus grand que la divinité’’. Il y a pire. L’innovation pourrait attirer notre attention même pas vers l’office, mais vers le célébrant. Vous savez ce que je veux dire. Même si ce n’est pas vous, certains pourraient se poser des questions du genre: ‘‘Mais qu’est-ce qu’il est en train de fabriquer?’’. Ça gâche la dévotion. On peut bien excuser celui qui disait: ‘‘J’espère qu’ils se souviendront que la mission de Pierre était ´´Pais mes brebis´´, et pas ´´Fais des expériences sur mes rats´´, ni ´´Enseigne de nouveaux tours à mes chiens dressés´´’’. […] Il se peut que certaines modifications, qui me paraissent de l’ordre du goût, impliquent réellement des changements doctrinaux graves.»

Concernant les rites latin et byzantin, voici encore un exemple pour l’Épiphanie. Plus de détails ici.

Hodie cælesti sponso.

Aujourd’hui l’Église est unie au céleste Époux, car dans le Jourdain le Christ en a lavé les péchés ; les mages accourent aux noces royales avec leurs présents, et l’eau changée en vin réjouit les convives, alléluia.

J’ai trouvé une hypothèse intéressante quant à l’origine des mages: d’après cet article, ils seraient venus de la presqu’île arabique, l’actuel Yémen.