À un moment donné, j’étais en train de composer mentalement un texte en latin, pour une préface que je dois écrire à un livre. «Comment dire en latin “transport en commun”?», me suis-je demandé. «Populiportatorius ou populomobilis? Non, c’est trop long. Alors laophorium!» J’ai osé taper ce mot dans Google, quand même, si jamais. Google m’a dirigé vers la page wikipedia en latin. Bingo! Lorsque deux personnes ne se connaissant pas inventent le même néologisme, c’est bon signe. (Cela m’était déjà arrivé avec « djåzofone » en wallon.) Donc, voilà, pour le bus, on a le mot.
«Quid du train?», me suis-je dit. À vrai dire, pour le train, j’ai toujours eu en tête qu’en latin ce serait un dérivé de tragere. Cependant, je ne sais quel pseudo-latiniste a créé en 2009 en latin de cuisine le mot °tramen, sous prétexte que cela viendrait du verbe trahere. Or cela ne peut pas être ainsi, pour plusieurs raisons. Les étymologistes français en herbe dérivent du trahere plusieurs mots français: “traire” et “traîner”, dont ils considèrent que “train” est le déverbal. Trahere a bien pu donner “traire”, mais “traîner” et “train” ne peuvent tout simplement pas provenir de ce même mot latin! “Traîner”, de par sa forme, doit avoir comme source °traginare, mais plus vraisemblablement il a dû dériver du mot “train”, qui a dû évoluer d’une forme romane °traginu-. La forme avec g, c’est-à-dire tragere au lieu de trahere, est due au participe tractus, elle se trouve également dans le dérivé tragula, et est confirmée autant par le roumain trage que par le portugais trazer.
Tout cela pour dire que le latin est bel et bien une langue vivante, malgré les erreurs. Ce sont les erreurs qui prouvent que la langue est vivante.
Jusqu’à ce jour, on écrit en latin les noms scientifiques communs. Bien sûr, sur des produits on trouve parfois du macaronique (genre: “triticum leaf extract” au lieu de foliis tritici compositum). Le latin de Térence n’est pas celui de saint Ambroise. La prononciation a évolué aussi, et une prononciation artificielle, qui n’a d’ailleurs jamais existé, ne rend pas service à la langue. La langue évolue, elle change, mais elle ne subit pas de mutation, sinon elle devient une autre langue.
L’autre jour, une touriste italienne m’a dit dans le train: «I didn’t knew that.» Étais-ce de l’anglais? Oui, de l’anglais de cuisine. Car sa phrase suppose une vraie mutation dans la langue anglaise. Tant que la mutation n’a pas eu lieu, cette phrase-là sera toujours une erreur (et une horreur). Et si mutation il y a, ce n’est plus de l’anglais, mais une langue différente. De même, l’horreur “tramen” prouve la vitalité du latin, car quelqu’un se débat pour y parvenir, sans réussir.
Pour la petite histoire, j’ai arrête de contribuer sur la wikipedia en latin il y a une dizaine d’année, car la plupart des pages de discussion étaient en anglais, étant que les contributeurs n’étaient pas capables de s’exprimer en latin.
Comme disait saint Augustin, avoir l’intention de prier, sans y parvenir, c’est aussi une forme de prière. Vouloir exprimer en latin la notion de train, même en créant une horreur à la place, c’est une forme de latin.