J’entends beaucoup d’enthousiasme à propos de la soi-disant nouvelle traduction du Notre-Père, qui a «et ne nous laisse pas tomber en tentation» à la place de «et ne nous soumets pas à la tentation.» Certains vont jusqu’à souligner la nouvelle phrase dans le texte, pour éradiquer l’ancienne. L’argument qui vient chaque fois sur le tapis, c’est que Dieu ne pousse personne à la tentation. Voici ma réponse à ce phénomène.
Tout d’abord, il faut savoir que dans le Nouveau Testament, il y a deux versions du Notre-Père. L’Église a eu l’habitude, quasiment partout sur la terre, d’utiliser la version de l’évangile selon s. Matthieu, corrigée parfois par ci par là, à partir de s. Luc.
En français, les différentes versions catholiques avaient les caractéristiques suivantes:
1. Parfois tutoiement, parfois vouvoiement;
2. Parfois «règne vienne», parfois «…arrive»;
3. «Notre pain quotidien» (comme s. Luc) ou «… essentiel» (s. Matthieu);
4. Dans les versions plus anciennes, l’ordre des mots est comme en grec et latin: «Notre pain…, donne-le-nous aujourd’hui»;
5. «Remets-nous nos dettes, comme nous le remettons à nos débiteurs.»
6. «Et ne nous laisse pas tomber en tentation» ou «Et ne nous induis point en tentation.»
7. «Mais délivre-nous du mal» ou, plus souvent, «… du Malin.»
Jean Calvin n’était pas content avec les versions catholiques, donc il a créé sa propre version du Notre-Père de la façon suivante:
3. «Notre pain de ce jour.» Ça ne vaut pas dire grand’chose, et cette leçon ne se trouve nulle part dans la Bible, ni dans la tradition liturgique.
5. Calvin estima, à juste titre, que nous ne pouvons pas racheter nos péchés en faisant de bonnes œuvres, et que, donc, nous devons pardonner à nos ennemis, mais que cela n’entraîne pas la rémission de nos péchés. D’où le mot «offense», comme quelque chose de moins grave que le péché. Genre: pour se faire pardonner les péchés, il faut se repentir, et juste un Notre-Père ne suffit pas. Mais je pense que Calvin a cherché midi à quatorze heures. Le mot «dette» est très général, et peut être compris à la fois dans le sens de s. Anselme, mais aussi comme notre devoir envers tout le monde, Dieu y compris, que nous n’arrivons pas à accomplir. En tout cas, faire dire au Notre-Père ce qu’il ne dit pas, ce n’est pas ça la solution.
6. Calvin croyait à la double prédestination, selon laquelle Dieu entraîne le pécheur vers le péché; d’où sa version: «Et ne nous soumets pas à la tentation.» La version de s. Luc dit: «Et ne nous mets pas à l’épreuve», qui me semble plus authentique; cependant, le psalmiste prie Dieu de le mettre à l’épreuve.
Puis, la version calviniste fut adoptée par les catholiques-romains en 1965, par souci d’œcuménisme. Les autres Églises plus minoritaires ont juste été entraînées dans le courant, et les gens nés dans les années huitante, quelle que soit leur confession, on appris la version calviniste, qui est devenue universelle dans la francophonie.
Maintenant si les catholiques-romains sont scandalisés par le phrase «Et ne nous soumets pas à la tentation», ils devraient avoir assez d’intégrité intellectuelle que pour revenir totalement – et pas juste en partie – à une version catholique, qui pourrait du coup être révisée avec des théologiens de tous bords; notamment:
3. «Notre pain quotidien» ou «essentiel»;
4. L’ordre des mots: «Notre pain quotidien/essentiel, donne-le-nous aujourd’hui.»
5. «Remets-nous nos dettes, comme nous le remettons à nos débiteurs.»
7. Éventuellement: «Mais délivre-nous du Malin.»
Sinon, il faut laisser les choses comme elles sont.