Aujourd’hui, en la Fête-Dieu, je vais essayer de détruire deux mythes.

Le premier mythe est le suivant. Des catholiques-romains (et parfois des protestants aussi) regardent les 39 articles de religion des anglicans, les lisent superficiellement, puis ils déduisent erronément que la doctrine anglicane sur l’Eucharistie serait protestante. En effet, l’article 28 dit: «The body of Christ is given, taken, and eaten in the Supper, only after an heavenly and spiritual manner. And the mean whereby the body of Christ is received and eaten in the Supper is Faith.» Comment faut-il interpréter cet article?

Voici l’invitatoire de la Fête-Dieu dans le manuscrit de Tongres (NL-DHk 70 E 4): «Christum regum regem adoremus dominum qui carnem suam et sanguinem in escam transfert mentium (source) Dans le même, l’antienne au Benedictus est la suivante: «Dominus Iesus Christus […] caritatis arte provida pigmenta composuit, quibus lethargicam mentem renovatam cottidie suæ salutis memoria propelleret, qui edentulam plebem, quæ verbum antiquam et æternum principium quasi solidum cibum ruminare non poterat, hoc prædulcissimo confecto liquamine in panis et vini sacramento consuefecit sorbilare» (source), c’est-à-dire «Le Seigneur Jésus Christ, par l’art de la charité, a institué pour la postériorité les signes par lesquels, en vue de soigner l’intelligence léthargique, on perpétuerait quotidiennement la mémoire de son salut, et que le peuple édenté, qui ne peut pas mâcher le Verbe antique, principe éternel, en tant que nourriture solide, absorberait fréquemment, dans le mélange très doux du sacrement du pain et de vin.» Cette antienne, dérivée du traité d’Innocent III sur le sacrement de l’autel, ainsi que l’invitatoire parlent de mens dans son acception tardive d’esprit ou âme. L’hyperbole du peuple édenté indique notre incapacité de communier au Christ, à part à travers les espèces du pain et du vin. L’article anglican, tout en rejetant le mot “transsubstantiation”, qui se trouve dans le traité d’Innocent III, en adopte néanmoins le langage. Autant Innocent III (et l’antienne liégeoise-tongrienne) que les articles anglicans disent la même chose: dans l’Eucharistie, il ne s’agit pas d’une manducation “de boucherie”; la manducation «spirituelle» est opposée non pas à la présence réelle, mais à une manducation charnelle, “de boucherie”.

Le deuxième mythe concerne la Fête-Dieu. On dit, en général, que Thomas d’Aquin en a composé l’office, et du coup, ce serait un premier exemple d’évolution liturgique non spontané. Or les exemples démontrent le contraire. Pour la Fête-Dieu, à part l’invitatoire attribué à Thomas d’Aquin, celui dont je parle plus haut y compris, on en recense d’autres:

  • Omnes_devotiChristum regum regem adoremus dominum, qui carnem suam et sanguinem in escam transfert mentium (source);
  • Venite, comedite panem meum, et bibite vinum quod miscui vobis (souce);
  • Venite ad me, omnes qui laboratis, et ego reficiam vos (source);
  • Omnes devoti pariter iubilare venite Christo, qui toti mundi dat pascua vitæ (source).

Donc, rien que pour l’invitatoire, on a quatre invitatoires différents, spontanés, en plus de celui supposé de Thomas d’Aquin. Si l’on devait prendre en compte toutes les antiennes, ça donnerait beaucoup de résultats. Ceci démontre également que la Fête-Dieu est une fête spontanée, officialisée seulement par la papauté, plutôt qu’une création d’en haut.

Pour la petite histoire, un article démontre que Thomas d’Aquin n’a rien à voir avec ce qu’on lui attribue par rapport à la Fête-Dieu. Au contraire, l’office romain est le résultat, par évolution, d’usages cisterciens, qui semblent avoir eu comme point de départ l’Abbaye des Dunes à Coxyde, qui, elle aussi, a eu comme source la fête liégeoise, ainsi que des dévotions italiennes.

De ce fait, très schématiquement, on devrait voir les choses de la façon suivante. Point de départ absolu: miracle eucharistique de Lancien vers 740, qui a inspiré des dévotions, dont l’apogée a été la Fête-Dieu de Liége en 1246, répandue très vite de Liége à Tongres (et ailleurs dans la région), puis à Coxyde, et enfin de Liége à Rome, en empruntant le matériel liturgique de Coxyde. Bref, la Fête-Dieu avec la fête de la Trinité, qui la précède immédiatement, et avec la fête brugeoise du Saint-Sang, c’est du belge!

 

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