Spes nostra.

Aujourd’hui en le jour-octave de la Pentecôte, pendant lequel on se penche sur le mystère de la triunité de Dieu, je veux continuer mes digressions sur les emprunts transrituels et interrégionaux, d’un rite à l’autre, dans la liturgie, à travers un cas concret lié à la Trinité.

He_elpis_mouDans la légende dorée de saint Joannice ou Jeannice, il est dit que ce saint récitait l’antienne suivante: Ἡ ἐλπίς μου ὁ Πατὴρ, καταφυγή μου ὁ Υἱός, σκέπη μου τὸ Πνεῦμα τὸ Ἅγιον, Τριὰς Ἁγία, δόξα σοι. («Mon espérance est le Père, mon salut est le Fils, mon refuge est l’Esprit Saint; Sainte Trinité, gloire à toi.») Bien entendu, l’auteur de la légende dorée a mis dans la bouche de son personnage une antienne qu’il avait entendue auparavant. Mais, grâce aux lecteurs de la légende, cette antienne a pénétré dans l’octoèque mineur, livre liturgique byzantin (chanté comme ici).

spes_nostraMais quelle est l’origine de cette antienne? On trouve dans les livres occidentaux l’antienne suivante: «Spes nostra, salus noster, honor noster, o beata Trinitas!» Dans celle-ci, spes fait implicitement référence au Père, salus au Fils, honor au Saint-Esprit. Donc, le transmetteur populaire a ajouté des gloses, pour que la référence à la Trinité soit explicite. Pour finir, beaucoup d’antiennes des fêtes finissent soit par «alléluia», soit pas «gloire à toi», chose qu’on a aisément ajoutée ici.

Et c’est ainsi que l’antienne se retrouvée sous la plume du rédacteur de la légende de saint Jeannice, où le pluriel a été réduit au singulier, comme cela arrive souvent dans des petites prières récitée par les moines.

Ma seule interrogation concerne la mutation de honor, «honneur», à σκέπη, «refuge, abri.» J’ai deux hypothèses, qui, d’ailleurs, ne s’excluent pas mutuellement. Soit les Byzantins ont été sceptiques à la notion romaine de honor (cf. les critiques byzantines à l’adresse de saint Anselme), et ont donc dû la remplacer par quelque chose d’autre (cf. dans le canon romain, les «mérites» des saints sont devenus «intercessions» dans les versions byzantines); soit honor, pour autant qu’il fût admissible par les Byzantins, n’est rendu en grec que par πίστις, «foi», que l’on a peut-être voulu éviter ici.

Alternativement, l’antienne aurait pu exister en grec d’abord (mais pas dans le rite byzantin, car autrement elle se trouverait dans le rite byzantin dans une forme plus primitive). Dans ce cas, le traducteur latin a eu du mal à traduire σκέπη, en comprenant «regard», et à cause de la difficulté de la traduction d’une telle notion, ce qui expliquerait aussi καταφυγή → salus. Ou encore, entre le latin et le grec il y a dû y avoir une langue intermédiaire, où les notions de refuge et d’honneur sont proches.

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