Les déçus de notre société post-chrétienne s’intéressent de plus en plus aux religions orientales. Tous les ans, il y a des milliers de convertis à l’islam, des centaines de nouveaux bouddhistes, mais également un tas de gens qui se ´´convertissent´´ à l’orthodoxisme.

Souvent, en lisant un livre, on se fait une opinion; mais en relisant le même livre des années plus tard, on comprend le même livre autrement.

Il y a 16 ans, j’ai lu plusieurs livres de Paul Evadokimov. Entre autres, « L’Orthodoxie », un livre censé expliquer les particularités des Églises orthodoxes des sept conciles, par rapport aux religions non-chrétiennes et par rapport à d’autres Églises chrétiennes. Eh ben, il y a donc 16 ans, après avoir lu ce livre, j’ai été tellement dégoûté, que par la suite j’ai lu Oswald Chambers et Charles Spurgeon, pour me consoler.

Je viens de relire « L’Orthodoxie » d’Evdokimov. Et là, je tire les conclusions suivantes. Pour la plupart des chapitres, là où Evdokimov prétend présenter des choses typiques de la théologie des Églises des sept conciles, en réalité, ces choses-là peuvent s’appliquer à d’autres Églises: vieille-catholique, anglicane, vieilles-orientales, voire catholique romaine et luthérienne. Rien de neuf sous le soleil.

Mais, par contre, pour ce qui est des chapitres concernant les icônes et la liturgie, j’ai le même sentiment qu’il y a 16 ans. Je n’y vois qu’un amas de crypto-monophysisme et de l’idolâtrie pure et dure.

Il ne suffit pas de dire que l’on croit à l’incarnation, à la divinisation de l’homme par le Christ, et même que le Christ est homme et Dieu. Ces mots-là ne veulent rien dire, si par après on dit tout le contraire. L’humanité du Christ, dans ce livre d’Evdokimov, est totalement absente. Idéologiquement absente. Ce n’est pas étonnant qu’en parlant de l’eucharistie, il ne mentionne même pas la pratique hérétique de 99% des communautés dites orthodoxes: à savoir, le fait d’excommunier de facto tous les chrétiens.

La liturgie chez Evdokimov a une portée mystico-gélatineuse; il lui fait dire ce qu’elle ne dit pas. Les vêpres sont, pour lui, une mise en scène de la chute et de l’annonciation. Et de ce fait, il élève le rite byzantin au rang de rite suprême et supérieur aux autres, sinon l’unique valable, à cause de la mise en scène qu’il soi-disant contient. (Or, ce sont des purs accidents de l’histoire de la liturgie qui font qu’il y a certains gestes, purement contingents. Ce qui est de l’ordre du contingent et du superflu, Evdokimov l’érige en norme, et perd de vue l’essence même des offices liturgiques.)

Pour ce qui est de l’icône, Evdokimov m’a semblé d’abord intégriste: il interdit les icônes sur papier, les reproductions d’icônes. (Qu’en penserait-il des icônes numériques?) Par la suite, lorsqu’il parle d’une présence réelle du Christ et des saints dans les icônes, je ne peux voir autre chose qu’un veau d’or. En réalité, les Israélites n’ont jamais pris le veau d’or pour un dieu; leur péché était de donner à YHWH une représentation, un objet qui rend présent, un objet véhicule de la présence divine. Et alors, entre le veau d’or et la conception de l’icône chez Evdokimov il n’y a aucune différence fondamentale. Curieusement, il reconnaît l’absence des icônes dans l’Église primitive.

Quant à l’art, pour Evdokimov, tout art non-religieux est démoniaque. Et tout art religieux n’est pas iconographique. Car, d’après lui, l’iconographe est inspiré par l’Esprit Saint, alors que l’artiste y met de sa culture et de son vécu. Autrement dit, c’est du littéralisme biblique, appliqué à l’iconographie.

Paradoxalement, dans ce livre, Evdokimov nie la présence réelle du Christ dans les saintes espèces, et condamne les doctrines catholique romaine et luthérienne à ce sujet. La raison? D’après lui, ce serait de nier l’ascension. Qu’est-ce qu’il propose en échange? Quelque chose de floue et ambigu, qui me ressemble davantage à la théorie de Calvin. En tout cas, d’après Evdokimov, les parcelles non consommées et qui ne sont pas destinées aux malades ne sont plus que des simples pain et vin. D’après lui, d’une part, nos yeux nous empêchent de voir le Christ, mais d’autre part, le pain eucharistique est le corps du Christ, d’une façon nominale. Et cela, grâce à l’épiclèse. (Si telle avait été la foi de l’Église ancienne, elle n’aurait pas appelé la messe « eucharistie » = action de grâces, mais plutôt « epiclèse ».)

Je trouve dommage que les autres Églises ne mettent rien en doute de l’orthodoxie présumée (et autoproclamée) des Églises des sept conciles. Au long du XXème siècle, les anglicans et les vieux-catholiques ont dit: « Nous sommes des orthodoxes de rite occidental ». Maintenant il reste à voir si les Églises des sept conciles sont elles-mêmes des orthodoxes de rite oriental.

Bref, il me faudrait relire et reméditer les XXXIX Articles de religion, pour trouver une consolation.

Mais bon, on ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac; on ne peut pas dire que tous les chrétiens dits orthodoxes pensent comme Evdokimov. Au fait, je me suis rendu compte que dans les Églises des sept conciles, l’unité doctrinale est encore plus floue et vague qu’elle ne l’est dans la Communion Anglicane. Comprenons-nous bien: au moins chez les Anglicans il y a quatre points doctrinaux communs.

Maintenant, le comble, c’est qu’Evdokimov pense que la règle dans les Églises des sept conciles, c’est le principe in dubiis libertas. C’est à dire: un fond commun, plus une liberté d’opinion théologique. Mais quel est, finalement, le fond commun chez les dits ortohodoxes des septs conciles? J’ai cherché ce fond commun, et je ne l’ai pas trouvé. Les uns (>1%) ont l’Eucharistie comme base, alors que les autres (<99%) excommunient perpétuellement leurs membres, sauf une fois par an. Les uns croient que chacun se sauve soi-même par la foi, l’acquisition des energies incréées (qui ne sont pas la même chose que la grâce acquise par le Christ sur la croix) et par les bonnes oeuvres; d’autres tiennent, à des degrés différents, la doctrine traditionnelle scripturaire du salut par la grâce. Les uns croient au péché originel; d’autres le nient. Les uns croient que les péchés se payent par de bonnes oeuvres aux péages aériens; d’autres croient d’autres théories, plus catholiques ou plus pélagiennes. Les uns croient réellement que le Christ est entièrement humain et entièrement Dieu; alors que d’autres professent cela que de bouche (ou de plume), tout en niant l’humanité du Christ dans le concret. Les uns croient que la succession apostolique-épiscopale se transmet uniquement par des orthodoxes de nom; les autres vont jusqu’à rebaptiser un converti. Les uns ont adopté le calendrier grégorien pour tous les fêtes; d’autres seulement pour les fêtes fixes; la plupart tiennent farouchement au calendrier julien, en maudissant les autres.

Donc, à part la foi trinitaire, il me semble qu’il n’y reste rien d’autre, aucun élément essentiel, commun à tous ceux qui s’étiquettent « orthodoxes ». Mais si, dans les petits détails: la monachocratie, l’homophobie, la misogynie, le nationalisme, l’éthno-phylétisme, le mépris envers le mariage, le mépris envers les rites non-byzantins… Pour le reste… juste la prétention d’une unité doctrinale et de la praxie. Oui, une simple prétention. Sinon, in dubiis libertas: la liberté de casser du pédé, du catho romain, du protestant. La liberté de se dire et croire meilleur que l’autre, et unique dépositaire du salut.

En ce qui me concerne, je n’ai pas besoin de tous ces accessoires (essentiels pour Evdokimov) pour avoir la communion avec Dieu. Je n’ai pas besoin que le Patocrator me regarde depuis la coupole de l’Église. Non. Il est plus près de moi que je ne le pense. Il n’est pas là-haut. Il est ici bas, vrai homme et vrai Dieu.

Je crois qu’en dehors de la matière des sacrements, toute autre  matière, quoique utile, est accessoire. D’accord, les icônes peuvent nous aider d’une manière décorative et didactique, ou affirmer la christologie; le chant liturgique peut nous aider dans notre prière; l’encens aussi. Mais les messes célébrées dans les prisons, sans crucifix, ni icône, ni encens, ni chant, ni ornements, sont tout aussi correctes, belles, authentiques et valides que les messes du monde libre, avec accessoires, pour autant que rien d’essentiel n’y ait été retranché.

Jusqu’au quatrième siècle, les gens ont été bel et bien sauvés, sans icônes et sans encens, sans chapelets et sans musique byzantine; sans moines et sans évêques célibataires. Cependant, ils participaient pleinement à l’Eucharistie de chaque samedi soir, car là, le Christ, qui est au dessus du temps, leur était présent et leur rendait présent le sacrifice de la croix.

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