Francolatrie et fransquillons.L’autre jour, je parlais de l’échelle du raccard des voisins de mes grand-parents. Je disais que l’échelle du raccard était plus courte que celle du grenier. Et à Nicolas de me demander: «Un rac-quoi?»

Dans le temps, je portais une tuque en peau de mouton. Depuis les Cowboys Fringants, le monde sait ce que veut dire une tuque. Non, pas tout à fait un bonnet. L’erreur, c’est de vouloir « traduire » d’un dialecte à l’autre, alors qu’on est à l’intérieur de la même langue: le français.

En néerlandais ou en anglais, les mots d’un dialecte passent dans les autres dialectes, grâce à la presse et surtout à la littérature. En français, malheureusement, tous les journalistes et les écrivains fransquillonnent: ils croient que le meilleur français est le patois de Paris. Certains d’entre eux, plus innocents, croient que s’ils n’utilisent pas le patois de Paris tel quel, ils ne seront pas compris par la majorité. Alors que la presse et la littérature sont censées nous apprendre à parler et écrire le français correctement, ils ne font que nous borner à un patois borgne et illogique.

Les Cowboys Fringants, disais-je. Heureusement qu’il y a encore la musique! Oui, grâce aux musiciens québécois, nous avons appris à dire «tuque», «icitte», «sacrer» et «van», et nous comprenons ce que sont un courriel et un pourriel, même si nous n’utilisons pas ces mots. Mais pour un beau français (beau = riche, varié), nous ne pouvons pas compter sur la presse ou sur la littérature.

Les musiciens, disais-je. Or montrez-moi encore des musiciens belges ou suisses qui chantent encore en français et qu’on diffuse sur Vivacité. Ah non, car Vivacité, avec notre argent, diffuse seulement de la musique étrangère et anglophone.

Les journalistes, disais-je. J’ai lu à plusieurs reprises dans Le Soir (de Belgique) qu’il y avait eu un «déjeuner des ministres» et un «dîner chez le Roi». Or comprenez que les rattachos du Soir patoisaient comme à Paris. En réalité il y avait eu un dîner des ministres et un souper chez le Roi.

Un patois borgne et illogique, disais-je. Je prendrais plusieurs exemples:

«Au petit déjeuner je mange des céréales et une pomme, au déjeuner je mange des pâtes et une poire, le soir pour dîner je prends une soupe et un morceau de melon.» (tiré d’une pub, cité de mémoire). Il n’y a pas de petit ou grand déjeuner. On déjeûne (on rompt le jeûne) une seule fois, le matin. Ceux qui déjeûnent à midi sont soit les fainéants qui sont sont levés à onze heures, soit les moines qui ont fait exprès de sauter un repas. Puis, la dernière proposition de la phrase est le paradoxe. On c’est au souper qu’on mange une soupe. Or, dans tous les pays francophones hors de la France (et encore!), les repas portent les mêmes noms: déjeûner, dîner, souper. En France, le patois de Paris a fait fransquillonner tout le monde.

«Quatre-vingt-dix-neuf». Et cette bêtise apparaît même dans les bibles et autres textes liturgiques, qui sont censés s’adresser à un public francophone de loin supérieur à la France! Si on écrit nonante-neuf (99), il faudrait également le dire. Or sinon, quatre-vingt-dix-neuf, ça veut dire 4×20+10+9. Pardonner «septante fois sept fois» est un jeu de mots, alors que «soixante-dix fois sept fois» mène à une littéralité qui n’a pas été voulue par l’auteur.

Portant la francolatrie va bon train. Oui, il faut sauver le français, qui est une langue menacée devant l’invasion de l’anglais, mais j’ai l’impression que le salut ne viendra pas d’Europe, et encore moins de la France.

Alors, mes gens, n’ayez pas peur de parler et écrire en bon français. Le vocabulaire est vaste. Évitez des explications comme «baraque à maïs, suspendue pour éviter l’eau…», «couvre-chef d’hiver, muni de ceci et cela…», «jurer mais pas comme au tribunal…»: il y a les mots «raccard»/«rascard», «tuque», «sacrer». Et si les gens vous font chevrer parce qu’ils ne vous comprennent pas, ils n’ont qu’à consulter les dictionnaires en ligne sur internet. On va pas s’en plaindre.

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