Origine des Roumains.

L’empereur romain Trajan a conquis la Dacie (le territoire actuel de la Roumanie) en 100-102 et 104-105. Des Romains se sont installés en Dacie. Puis en 271-275, l’empereur Aurélien a retiré les troupes romaines au sud du Danube, en abandonnant la colonie romaine, et en la laissant en proie aux invasions barbares. Les Hongrois sont arrivés dans les Carpates au 10e siècle. Les Roumains sont attestés dans les documents à partir du 13e siècle. En bref, ceci est un fait historique accepté par toutes les parties. À partir de cela, trois théories ont vu le jour.

A. La théorie de l’École transylvanienne était la suivante. Lors de la conquête de la Dacie, la très grande majorité des Daces sont morts dans la guerre. L’affirmation de Dion Cassius, « tous les Daces ont péri », doit être prise au sens littéral. Les Romains ont dû repeupler le pays avec des colons. Après 275, seules les troupes ont quitté la Dacie (Roumanie); les autres gens avaient une famille, une vie etc.; ils n’avaient pas de raison de quitter. Le fait qu’ils n’aient pas été attestés pendant près d’un millénaire ne signifie nullement qu’ils étaient absents.
Mon commentaire. Comment se fait-il que les Roumains ont résisté devant autant d’envahisseurs barbares? Si les envahisseurs se déracinaient les uns les autres, comment les Roumains sont-ils restés immuables?

B. La théorie (isolée à la base, puis reprise) du régime de Ceauşescu. Lors de la conquête de la Dacie par les Romains, seuls les hommes sont morts à la guerre, et d’ailleurs pas tous. Les soldats romains ont épousé les veuves daces, et leur ont imposé la langue. D’ailleurs, il reste en roumain une centaine de mots de substrat dacique.
Note: une variante nationaliste plus récente suppose que très peu de Daces sont morts à la guerre, et que la majorité de la population dace serait restée immuable.
Mon commentaire. Comme Mr Dan Ungureanu l’a démontré, la plupart des mots prétendument daces sont alpins, romains, occitans. Moi-même, j’ai découvert que certains de ces mots-là, comme beaucoup d’autres, appartiennent au substrat celtique, alors que certains autres mots prétendument daces sont d’adstrat, et très tardifs par leur forme (inadaptation aux règles de la phonétique roumaine). Donc rien de dace. J’ai montré cela dans mon livre. Il y a eu deux guerres daces. Entre la fin de la première et le debut de la seconde, Trajan a fait bâtir par Appolodore de Damas le premier pont sur le Danube. Pendant tout ce temps, les Daces ont eu le temps de mobiliser toutes leurs forces de guerre, et ils en avaient besoin, devant la supériorité numérique des Romains. Donc il n’y a eu aucune continuité dace. De surcroît, les Carpates étaient une frontière naturelle. Même aujourd’hui, génétiquement et linguistiquement, les Transylvaniens sont différents des gens du sud des Carpates. Donc pas de Daces au nord des Carpates! Dernière remarque: la théorie en question n’est pas politiquement neutre: elle vise à légitimer l’annexation de la Transylvanie par Bucarest, et à stigmatiser les magyarophones, qui, même après un millénaire de continuité en Transylvanie, sont considérés citoyens de second rang, voire des « étrangers ».

C. La théorie initiée par Robert Rösler. Quand les Romains se sont retirés en 275, toute la population latine a déménagé au sud du Danube, par peur des envahisseurs barbares. Lorsque les Hongrois sont arrives en Transylvanie au 10e siècle, il n’y avait que quelques Slaves là. Les Roumains sont des Latins du sud du Danube, qui sont passés au nord du Danube le 13e siècle. Une comparaison entre le roumaire (parlé en Histrie) et le roumain démontre que le second dérive du premier, et non l’inverse. Les Roumains, minoritaires en Transylvanie, se multipliaient de façon exponentielle, jusqu’à dépasser en nombre les Hongrois autochtones. Des mots communs entre les langues albanaise et roumaine démontrent que les locuteurs de ces deux langues ont cohabité sur le même territoire.
Mon commentaire. Cette théorie n’est que politique, pour affirmer le mythe du territoire vide. Elle est un véritable dogme des régimes hongrois, passés et présents. Rösler et ses successeurs n’ont strictement aucune preuve historique pour démontrer l’immigration des Roumains depuis le sud du Danube vers le nord, et de là jusques en deçà des Carpates. Quant au roumaire, il est très proche du roumain transylvanien, alors que le roumain de Bucarest n’est qu’une version très corrompue de la langue pure qui était (est) parlée en Transylvanie. Une remarque de Mr Dan Ungureanu: après l’établissement des Hongrois en Transylvanie, tous les colons ultérieurs ont pu s’y établir sur base de chartes précises; or il n’y en a pas pour les Roumains; si les Roumains avaient émigré en Transylvanie, ils auraient été accueillis les bras ouverts et avec des devoirs et droits, à l’instar des germaniques, Slovaques etc. Autre remarque de Mr Dan Ungureanu: deux mots roumains, zîmbru et bucium n’auraient pas pu perdurer s’il n’y avait pas eu de continuité dans les Carpates. Moi-même, j’ai une autre remarque: la Bible gothique d’Ulfilas contient beaucoup d’emprunts au roumain; s’il n’y avait pas eu de continuité roumaine dans les Carpates, ces mots-là n’auraient pas été dans le gothique.

D. L’origine alpine. Cette théorie a été lancée par M. le professeur Dan Ungureanu, et elle réconcilie, à mon avis, les théories A et C, tout en réfutant la B. Dans son livre « Româna şi dialectele italiene« , M. le professeur démontre que la langue roumaine s’est formée, non pas sur le territoire de la Roumanie, mais dans les Alpes. Les langues et dialectes des Alpes – le roumanche, le ladin, le frioulan, le vénète, l’occitan etc. – contiennent essentiellement tous les éléments qui résultent de l’évolution linguistique depuis le latin, ainsi qu’un bon bagage de mots de substrats celtiques et italiens. La grande majorité des mots soi-disant « daces » présents dans la langue roumaine se trouvent soit dans les Alpes, soit ailleurs en Italie. Je suis allé encore plus loin, en proposant des étymologies celtiques et alpines pré-celtiques pour toute une série d’autres mots roumains, abstraits, concrets et surtout intimes. En roumain, les mots relatifs à la pastorale et aux conifères sont alpins aussi. En faisant des calculs mathématiques sur la démographie, M. le professeur est arrivé à la conclusion que les Roumains arrivés des Alpes dans les Carpates n’étaient que 30 mille âmes (ailleurs il estime cela à 10-100 mille). Personnellement, je dirais même moins.

Les Alpins étaient des bergers. Dans les Carpates, ils ont continué leur mode de vie. Lors du retrait d’Aurélien, effectivement, les peuples migrateurs ont envahi les plaines au pied des Carpates. Mais ces peuples-là, à part les Goths, ne sont pas entrés en contact avec les Roumains. Les altitudes n’étaient pas convoitées par les barbares. Ce n’est qu’après de longs siècles de vie alpine que les Roumains sont descendus des montagnes, et ont assimilé linguistiquement toutes sortes de peuplades.

En regardant la distribution d’haplogroupes patrilinéaires, on voit que les Transylvaniens roumanophones sont majoritairement R1b, comme les Italiens et les Français. Ce sont des Celtes. Les Moldaves sont des proto-Européens slavisés, puis roumanisés. Les Wallaques d’aujourd’hui sont, sans doute, des Balkaniques roumanisés. Historiquement, la Moldavie (résultant en deux Moldavies aujourd’hui, dont un pays indépendant en une région de la Roumanie) a été fondée par des Transylvaniens sujets de la couronne hongroise. Pour ce qui est des Wallaques, qui n’ont pas eu de contact direct avec les magyarophones, ils utilisent néanmoins beaucoup de mots d’origine hongroise. Le patois de Bucarest, pétri d’hypercorrections et de barbarismes, dépalatalisé parfois de travers, n’est qu’une forme très corrompue de la langue roumaine authentique, une sorte de créole.

Une autre chose que j’ai découverte grâce à mes recherches étymologiques, c’est que les Alpins déménageant dans les Carpates étaient chrétiens à leur arrivée. Plus précisément, des chrétiens d’un rite gaulois, occidental. Ils ont été byzantinisés vers 990, mais toute une paraliturgie occidentale s’est préservée jusqu’à nos jours.

Lorsque les Hongrois sont arrivés dans le bassin carpatique, ils n’ont pas trouvé de Roumains tout de suite. C’est parce que ces derniers étaient dans les montagnes, mais totalement absents dans les plaines.

La plupart des hydronymes en Roumanie ont une origine non-roumaine. La plupart des grandes villes et même des villages ont des noms hongrois. Pour les villes qui gardent quand même on nom d’origine latine, il n’y a toutefois pas de continuité. Par exemple, Cluj vient d’un type *Claus-, mais le l aurait dû être amuï, donc le résultat aurait été Chiuj ou Chij, sans compter que le nom romain Napoca ne s’est pas transmis. Le romain Apulum ne s’est pas transmis, mais un autre nom latin, Alba, s’est formé à la place. Le nom de la capitale de la République de Moldavie, Chisinau, est hongrois, Kis-Jenö, « Petit-Eugène ».

Donc les Roumains, à l’instar des Hongrois, sont non pas des « autochtones », mais des gens venus d’ailleurs.

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