Deux sortes de baies, qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, s’appellent «mûres» en français; et les plantes qui les produisent s’appellent toutes les deux «mûrier», alors qu’elles n’ont rien à voir les unes avec les autres.

1.

La première qui a reçu ce nom, et qui est bel et bien originaire d’Europe, c’est bien le mûrier arbuste, de la famille rubus, frère avec le framboisier. À tort, beaucoup de monde les appelle «ronces»; or, le sens précis du mot «ronce» est ‘‘plante avec dards’’; cependant, il existe des mûriers sans dards (preuve dans notre jardin). Ce sont les fruits de ces mûriers arbustes que l’on a appelés moræ en latin tardif, comme pour dire «des Maures», par analogie à la couleur de ces fruits. Pour les distinguer des fruits dont on parlera plus bas, dans certaines régions on appelle les mûres «mûrettes» ou «mûrons».

2.

Il y a dans la famille de la vigne, rosidées, un arbre oriental qui, dans les langues orientales, s’appelle tout` (hébreu תות, araméen תותא, arménien թթի, kurde , ossète тут, turc dut, maltais tut etc.). À ma connaissance, en wallon il n’a même pas de nom, étant donné qu’il n’est arrivé ici que tardivement. Dans la plupart des langues germaniques, les fruits de cet arbre s’appellent ‘‘baies de mule’’ (allemand Maulbeeren, suédois mullbär, anglais mulberries). Les langues ibériques appellent l’arbre ‘‘amourier’’ (portugais amoreira, occitan amorier), sans doute par mécoupure et mécompréhension du mot français. L’italien parle de gelso, du latin celsus.

Malheureusement, le néerlandais et quelques langues scandinaves ont mélangé la forme française et la forme germanique.

À noter que les feuilles de cet arbre, tout comme les feuilles de vigne, sont très appréciées par les vers à soie.

* * *

Il faudrait, donc, trouver un mot distinct pour arbre de la famille de la vigne, et arrêter une fois pour toutes de le confondre avec l’arbuste appelé mûrier.

Comment appeler donc cet arbre? Plusieurs idées me viennent à l’esprit:

I. À partir des formes germaniques, parler de «muleberges» (comme «canneberges») pour les fruits, et «mulebergier» pour l’arbre. Il est tout à fait cohérent et commun d’appeler les fruits d’après les animaux qui les mangent: les gadelles sont mangées par les gades (chèvres), les plaquebières sont mangées par les bièvres (castors); les anglophones abondent en d’autres exemples: cowberries, bearberries, foxberries… C’est cette option qui me semble la plus viable. Une personne qui lirait ou entendrait le mot «muleberge», connaissant un peu d’anglais ou d’allemand, retomberait vite sur ses pattes.

II. À partir des formes orientales, appeler les fruits «toutes», et les arbres «toutiers»… Ou mieux, des «tutes» et des «tutiers». Cette version me semble viable chez les francophones orientaux; parlant au quotidien des langues sémitiques également, ils comprendraient vite de quoi il s’agit. En Belgique, ce serait une extension de sens du mot «tute», qui, chez nous, signifie “sucette”.

III. À partir du latin, appeler l’arbre «celse», et ses fruits des «celsettes»; alternativement, suivant l’italien, «gelse» et «gelsettes». Un tel mot serait compréhensible immédiatement dans les régions où le français côtoie l’italien, et on le retiendrait facilement, grâce à Celsius.

D’autres propositions?

Et en wallon?

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