Dans le rite byzantin, pendant les féries du carême – ainsi que les trois premières féries de la Semaine Sainte – on célèbre la messe des présanctifiés, attribuée à « saint Grégoire l’auteur des Dialogues, pape de Rome », c’est-à-dire Grégoire le Grand. Pendant que certains intégristes font appel à cette liturgie dans le but de prétendre à l’universalité du rite byzantin, les liturgistes sérieux rejettent purement et simplement la paternité de saint Grégoire le Grand par rapport à cette liturgie.
Qu’en est-il?
Tout d’abord, je ne crois pas que l’attribution de cette messe des présanctifiés ait été faite sans raison. Mais je ne crois pas non plus que ce rituel ait été compilé par saint Grégoire le Grand. Je pense que la vérité est quelque part au milieu.
Pour comprendre cela, pensons d’abord à deux autres ordos de la Messe chez les byzantins, à savoir: la messe « selon saint Pierre l’apôtre » et la messe « selon saint Jean Chrysostome ». Mais revenons à nos moutons. Qu’est-ce que saint Grégoire a à voir dans l’ordo des présanctifiés chez les byzantins?
Tout d’abord, regardons la forme de cette liturgie. Alors que, en général, le rite byzantin considère l’alléluia comme un chant de deuil et de carême, la messe des présanctifié contient le graduel « Que ma prière s’élève comme l’encens ». La démarche est typiquement latine. Ensuite, cette messe des présanctifiés contient une procession avec les saintes espèces, encore une piété latine. Ensuite, le prêtre sort avec le cierge pascal, ce qui rappelle la vigile pascale latine. Donc il y a plein d’éléments du rite latin dans cette messe byzantine des présanctifiés. Des éléments qui ne remontent certainement pas à saint Grégoire le Grand, mais que la piété populaire a pu lui attribuer, grâce à son renom.
Mais il y a autre chose. La pratique eucharistique en carême a été différente en Occident par rapport à Byzance. Côté byzantin, presque tous les jours de l’année on pouvait célébrer la Messe, sauf les féries du carême; le jeûne était vu comme incompatible avec la Messe. Côté latin, c’est juste le contraire: les féries ordinaires n’avaient pas de propre, sauf en carême; autrement dit, la Messe était célébrée les dimanches et les jours de fête, toute l’année, mais en carême il y avait la messe vespérale quotidienne.
Avant de prendre l’épiscopat, saint Grégoire a été nonce papal à Constantinople. Pendant son séjour là-bas, il a dû réconcilier la pratique latine (eucharistie quotidienne vespérale en carême) avec la pratique locale (pas d’eucharistie pour les féries du carême). Le compromis a dû être, sans doute, l’adoption de la messe des présanctifiés (connue à Rome pour le Vendredi-Saint) à Byzance, pour le carême. Mais dans ce cas, avec le temps, d’autres éléments latin ont dû être incorporés, puisqu’on les attribuait à saint Grégoire.
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