Je pense de nouveau à cette vieille qui s’appelait Agnès, que j’ai connue lorsque j’étais enfant, et qui est décédée à l’âge de 117 ans. C’est le premier mort que j’ai pleuré de ma vie. C’était une pauvre, d’origine ruthène. Quand on la voyait dans la rue, ma mère me donnait une petite pièce, et j’allais la donner à Agnès. Elle me faisaient des baise-mains, en m’embrassant les doigts.
Ses mains toutes vieillies et son visage tout ridé étaient tellement beaux. D’une beauté autre que celle que nous montre la pub, autre également que ce qu’un attend d’un(e) conjoint(e). C’était la beauté de la personne qui a traversé la vie, et qui, à un âge avancé, continuait à se battre au jour le jour.
Les dimanches et les jours de fête, Agnès se tenait à la porte de l’église (à l’intérieur). Sans qu’elle tende la main, les gens lui donnaient des petites pièces, certains en entrant, d’autres en sortant. Les vendredis elle allait se promener au marché. Lorsqu’elle posait la question sur le prix de tel ou tel produit, les femmes lui en donnaient gratuitement.
L’une des choses qu’Agnès disait à ma mère, dans la rue, lorsque je lui donnais la petite pièce, c’était: «Madame, c’est lui qui me pleurera quand je serai morte.»
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