Dure Ardenne et souvenirs.Ces derniers jours, avant de m’endormir, je lis tous les jours un chapitre du roman autobiographique Dure Ardenne d’Arsène Soreil. La première édition est sortie en 1933, et pourtant, ses souvenirs d’enfance rassemblent tellement aux miens! En lisant ces quelques pages, je pense surtout à la vie à la campagne, chez mes grands-parents. Je vous cite quelques extraits de Soreil, qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à mes souvenirs à moi.

«Où donc ai-je vu cette femme-ci? […] Pour l’amour de Dieu, où donc ai-je bien pu voir cette femme? Il faudra que j’aille le lui demander au retour…»

«Nous étions entrés sans frapper, comme c’est l’usage chez nous. La civilité consiste, une fois la porte poussée, à s’introduire sans hâte, en laissant gémir les gonds pour avertir.»

«Mon chien Lion […] Alors, du moins, je prends mon temps, les yeux dans les yeux de l’animal, escomptant une surprise égale à cette chose inouïe: lui, un chien de vaches, manger de ce bon pain d’épices! Lion ne perd pas son temps à savourer. Les petites bouchées que je lui jette lentement, visant le museau moite, disparaissent une à une, dans un clappement de boîte qui se ferme. Tout le morceau y passera. Et à mesure qu’il diminue dans ma main, je sens mes derniers scrupules s’en aller aussi. La Conscience, tout au fond de moi, absout ma prodigalité.»

«Le feu de la cuisine est destiné aux chaudrons, aux marmites, aux bouilloires. Il réchauffe, à l’occasion, les poussins chétifs et les porcelets débiles; le chien et le chat en toute saison: jamais les doigts gourds du bon vacher.»

«Même avant les vélos, nos jeunes paysans faisaient des lieues pour courir à l’amour. Quant aux femmes, elles allaient, comme partout, aux enterrements, aux pèlerinages. […] La Providence des batteurs de routes ferait bien surgir à point nommé, sur quelque seuil, la commère curieuse qui vous demande qui vous êtes, d’où vous venez, où vous allez. On répond, elle se récrie; elle s’avance sur le pavé pour mieux vous entendre – aussi pour vous inspecter de plus près. Vous avez fait, naturellement, deux pas dans sa direction, et… cela se termine par la cafetière de l’hospitalité.»

«La dévotion se standardise comme le costume, et les vieux saints le cèdent aux jeunes. C’est la vie… Je vous dirai bien le nom d’une paroisse où sainte Walburge, à qui personne ne reprochait rien, dut céder sa place au pilier à sainte Thérèse de Lisieux, dont Dieu me garde de médire.»

«Dji m’ sovins , volà bin des ans… Je n’ai compris que bien plus tard cet art inné qui s’ignorait lui-même; et tandis que, devenu un homme à mon tour, j’admirais chez l’octogénaire ce jaillissement toujours égal, cette vertu d’enchantement devenue intacte, il m’arriva de réfléchir sur l’art immémorial de conter, que des siècles de veillée ont parfait. Anonyme, et fils de la nécessité, comme tous les arts. Il fallait tuer les longues heures de soirées d’hiver, il fallait oublier la peine journalière dans l’évasion du souvenir. Les contes de la veillée furent pour nos pères, avec les chansons et les farces, la seule détente familiale aux labeurs du jour. L’art de conter survivra-t-il aux anciennes mœurs des campagnes?»

Trackback

no comment untill now

Sorry, comments closed.